Au service de Dieu
Sa carte de visite décrivait Olivier Messiaen (1908-1992), profondément croyant, comme un compositeur de musique, professeur de composition, organiste, ornithologue et maître du rythme. Ça fait beaucoup, et pourtant, toutes ces activités se rejoignent dans une même esthétique et dans l’admiration pour la grandeur de la Création. En tant que compositeur, Messiaen trouvait son inspiration dans sa foi et dans la nature, en particulier auprès des oiseaux, qu’il considérait comme les messagers du divin.
Messiaen avait à peine 22 ans lorsqu’il a publié la méditation symphonique Les Offrandes oubliées (1930). Cette œuvre s’est immédiatement imposée comme un jalon dans sa carrière. Il s’agit non seulement de sa première partition publiée pour orchestre symphonique, mais aussi de sa première composition interprétée par un orchestre professionnel devant un large public. L’œuvre est conçue comme un triptyque : dans le premier mouvement, Messiaen dépeint Jésus sur la croix, accompagné d’une plainte aux cordes. La deuxième section montre l’homme qui s’enfonce dans ses péchés, aux sons de trompette pénétrants et accompagné de glissandi. Enfin, la lumière du soleil perce, atténuée par les vitraux de l’église teintés de rouge, d’or et de bleu. Après l’offrande, toutes les erreurs sont pardonnées.
Un an après Les Offrandes oubliées, Messiaen a été nommé organiste titulaire de l’église de la Trinité à Paris, poste qu’il a occupé jusqu’à sa mort. S’il s’est consacré principalement à des œuvres d’inspiration chrétienne jusqu’en 1945, il n’a écrit qu’un seul motet liturgique, O Sacrum Convivium. Il est probable que le chœur de la Trinité ait interprété ce motet peu après sa mise par écrit, mais la création officielle a eu lieu lors d’un concert des Amis de l’orgue à la Trinité le 17 février 1938. Messiaen avait prévu pour l’occasion une version pour voix seule et orgue. Le motet est court et plutôt statique. Il n’atteint son paroxysme que lorsqu’est chantée la gloire de Dieu.
Prière pour l’univers
Comme Messiaen, Lili Boulanger était une grande catholique. Elle a grandi dans une famille de musiciens, fréquentée par des compositeurs comme Gabriel Fauré et Charles Gounod. Son talent exceptionnel – elle avait l’oreille absolue, jouait du piano, de la harpe, de l’orgue et du violon avec aisance – s’est manifesté dès son plus jeune âge. En 1913, elle a été la première compositrice à remporter le Prix de Rome. Sa volonté était tout aussi impressionnante : malgré une santé très fragile, elle a produit une œuvre considérable en l’espace de dix ans seulement.
Comme Fauré, son maître, Boulanger appréciait particulièrement la musique vocale. Elle s’inspirait de la nature, de la spiritualité et de la musique médiévale. Ses mélodies lyriques présentent la légèreté et l’élégance du style français tout en étant teintées de sonorités orientales. La mort de son père, alors qu’elle avait à peine 6 ans, sa propre santé précaire et les souffrances liées à la Première Guerre mondiale l’ont poussée à composer des œuvres religieuses profondes et puissantes, comme Vieille prière bouddhique (Prière quotidienne pour tout l’univers), basée sur une ancienne prière bouddhiste, qui prêche la paix pour toute l’humanité.
Âmes converties
Le côté religieux de Francis Poulenc n’a pris le dessus qu’à partir de l’année charnière de 1936. Cette année-là, l’un de ses meilleurs amis, le compositeur et critique musical français Pierre-Octave Ferroud, a trouvé la mort dans un accident de la route. Poulenc en a été tellement affecté qu’il a entrepris un pèlerinage au sanctuaire de la Vierge noire à Rocamadour. Selon ses propres termes, cela lui a permis de retrouver la foi de son enfance. La quasi-totalité de ses œuvres chorales et d’inspiration religieuse datent de la période suivant cet événement. Entre juillet 1938 et janvier 1939, il a travaillé sur quatre motets qu’il a rassemblés plus tard dans le recueil Quatre motets pour un temps de pénitence. Composer des œuvres d’inspiration religieuse offrait à Poulenc une distraction et un soutien bienvenus dans un contexte politique mouvementé : « C’est doux de se sentir soutenu par une inspiration religieuse [...]. Cela m’aide autant à travailler qu’à traverser cette horrible époque. »
Igor Stravinsky, pour sa part, après s’en être détourné en 1910, s’est reconverti à la foi orthodoxe russe en 1926. Peut-être était-ce pour une question de conscience, Stravinsky ayant mené une vie assez dissolue pendant toutes ces années, ou avait-il besoin de se raccrocher à quelque chose après la maladie de sa femme Catherine et en raison des critiques formulées à l’encontre de sa musique moderniste. En outre, il caressait depuis un moment l’idée d’intégrer des textes de psaumes dans un contexte symphonique. En 1929, le chef d’orchestre et éditeur russo-américain Serge Koussevitzky lui a demandé d’écrire une œuvre symphonique à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’Orchestre symphonique de Boston et il a dès lors poursuivi dans cette voie.
La Symphonie de psaumes fait partie des œuvres néoclassiques de Stravinsky, dans lesquelles il reprend des éléments musicaux préromantiques. Ici, il fait de la forme symphonique classique une interprétation tout à fait unique. Sa quête d’un art ultrapersonnel s’inscrit également parfaitement dans l’idéal néoclassique. Et comme Koussevitzky n’avait pas donné d’instructions spécifiques en termes d’orchestration, Stravinsky a choisi d’omettre clarinettes, violons et altos, les instruments romantiques par excellence. Il a choisi également d’adopter une approche différente pour le traitement des textes des psaumes : « Ce n’est pas une symphonie dans laquelle j’ai mis quelques psaumes qui sont chantés, mais au contraire, c’est le chant des psaumes que je symphonise. » Cette approche apparaît de manière particulièrement évidente dans le dernier mouvement, qui a été en réalité composé en premier, à partir d’une figure rythmique basée sur les mots « laudate dominum ». La figure rythmique, censée illustrer la joie de louer Dieu, se dissout à la fin dans une musique contemplative, presque céleste.
À la fin de sa carrière, Stravinsky a encore réalisé quelques adaptations d’œuvres d’autres compositeurs, dont J. S. Bach. En 1956, par exemple, il a écrit une interprétation vivante de ses variations chorales sur l’hymne Vom Himmel hoch da komm’ ich her pour chœur et orchestre.