Entouré de beauté naturelle
Comme pour les premières symphonies, Gustav Mahler travaille pendant plusieurs étés à sa Troisième Symphonie. Sa carrière florissante de chef d’opéra à Hambourg lui prend tellement de temps qu’il ne peut guère composer durant l’année. Pendant les vacances d’été, il se retire à Steinbach am Attersee, un endroit idyllique dans les Alpes, près de Salzbourg, pour composer en toute tranquillité. Il y fait de longues promenades dans les montagnes, s’inspirant de la nature. Il note ses idées dans de petits carnets et, une fois de retour dans sa Komponierhäuschen (cabane de composition) au bord du lac, il les développe pour en faire une ébauche. De retour à Hambourg, il révise et orchestre ce qu’il avait conçu
C’est ainsi qu’il compose sa Troisième Symphonie : en 1894, Gustav Mahler en termine l’ébauche et, deux étés plus tard, il annonce à ses amis musiciens que sa « symphonie en l’honneur Pan » est prête. Au chef d’orchestre Bruno Walter, qui lui rend visite en août 1896 et se déclare très impressionné par le paysage de Steinbach, Gustav Mahler répond qu’il vient de mettre cette beauté en musique dans une symphonie en six mouvements. Au départ, Mahler envisageait d’y intégrer un arrangement de son lied Das himmlische Leben, une description du paradis à travers les yeux d’un enfant, en guise de septième mouvement, mais il modifie ses plans lorsqu’il remarque que le premier mouvement atteint des proportions importantes ; il intègre finalement Das himmlische Leben dans sa Quatrième Symphonie. Même sans ce dernier mouvement, la Troisième Symphonie de Gustav Mahler est une composition d’une envergure considérable, dont la durée moyenne d’exécution avoisine les 100 minutes.
Pan le tout-puissant
Au cours du processus de composition, le compositeur envisage différents noms pour la symphonie, de « Songe d’une nuit d’été » à « Une symphonie en l’honneur de Pan » en passant par « Le Gai Savoir ». Les ébauches des mouvements contiennent également des titres programmatiques :
1 – Pan s’éveille. L’été se met en marche
2 – Ce que me racontent les fleurs dans les prés
3 – Ce que me racontent les animaux dans la forêt
4 – Ce que me narre l’être humain
5 – Ce que me racontent les anges
6 – Ce que l’amour me raconte
Cependant, c’est essentiellement à lui-même que ces titres servent de guide. Afin de dépouiller la symphonie de tout contexte extramusical, il supprime les titres pour la publication. Il pense que la musique parlera d’elle-même et que l’histoire n’aura plus d’importance une fois la musique couchée sur le papier : « Depuis Beethoven, il n’y a plus de musique sans programme, mais la musique ne vaut rien si l’on doit d’abord expliquer ce qu’elle exprime. Il faut y apporter ses oreilles et son cœur, ainsi que la volonté de s’abandonner. Il y a toujours une part de mystère, même pour le compositeur. »
Pourtant, ces titres en disent long sur l’idée de Gustav Mahler. Ainsi, le premier mouvement, une mise en musique exubérante des forces primitives et naturelles, est dédié au dieu grec Pan :
« Les grands questionnements de l’humanité, que j’ai évoqués et tenté de résoudre dans la Deuxième (Pourquoi existons-nous ? Continuons-nous à exister après la mort ?) ne sont plus d’actualité ici. Que représentent-ils en effet face au Tout-Puissant, à Pan dans lequel tout vit et doit vivre ? Un esprit qui, comme dans cette symphonie, se fait l’intermédiaire des vérités éternelles de la création et de la divinité peut-il mourir ? »Pour Gustav Mahler, la figure de Pan incarne l’univers tout entier, de la terre à l’au-delà. Cette idée traverse la symphonie comme un fil rouge et est également liée à d’autres références littéraires, notamment à Le Gai Savoir (1882) et Ainsi parlait Zarathoustra (1892) du philosophe allemand Friedrich Nietzsche. C’est de cette dernière que Mahler a tiré le texte « O Mensch » du Chant de Minuit comme base du quatrième mouvement. C’est ici que l’homme s’exprime dans sa quête de soulagement de ses soucis terrestres. Le cinquième mouvement, tiré d’un texte de Le Cor merveilleux de l’enfant, marque l’étape suivante de ce processus spirituel et trouve son accomplissement ultime dans le dernier mouvement, dans l’amour. Gustav Mahler le conçoit ainsi :
« C’est le zénith, le niveau le plus élevé d’où l’on peut voir le monde. Je pourrais également intituler ce mouvement “Ce que Dieu me dit”, dans le sens où Dieu ne peut être compris que comme “amour”. »
Une première couronnée de succès
Il faut attendre un certain temps avant que la Troisième Symphonie de Gustav Mahler soit présentée en première dans son intégralité. Les Deuxième, Troisième et Sixième Symphonies avaient déjà été présentées en 1896 et en 1897, mais ce n’est qu’en 1902, à Krefeld, que Mahler peut faire exécuter la Troisième dans son intégralité, en partie grâce à Richard Strauss, qui avait assisté à des représentations des Deuxième et Quatrième à Munich et en avait été très impressionné.
La première rencontre un grand succès : un journal local rapporte « un tonnerre d’applaudissements qui a duré près de quinze minutes », et un critique suisse qualifie le dernier mouvement de « peut-être le meilleur Adagio écrit depuis Beethoven ».